Chroniques

par bertrand bolognesi

Johannes Boris Borowski
œuvres pour orchestre

2 CD WERGO (2014)
WER 6412 2
quatre œuvres pour orchestre de Johannes Boris Borowski (né en 1979)

Jouée par le Chicago Symphony Orchestra, l’Ensemble Modern, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, celui de l’Académie du Festival de Lucerne ou encore l’Ensemble Intercontemporain, la musique du jeune Johannes Boris Borowski (né en Bavière en 1979) nous parvient, après deux approches françaises au concert, grâce à la collection Zeitgenössische Musik de WERGO, la filière discographique des éditions musicales Schott. Après la création du Klaviertrio et la découverte de Change [lire nos chroniques du 24 novembre 2013 et du 25 février 2014], ce portrait en deux CD permet de s’y mieux plonger.

Un tiers du timing est occupé par deux œuvres chambristes.
Dès Wandlung pour six instruments (2009, révisé en 2014), l’influence de la manière de Pierre Boulez se signale avec évidence. Pourtant, si l’articulation et l’architecture générale de la pièce se placent dans cet héritage, le recours à des multiphoniques, voire à des sons saturés, assure l’auditeur que l’admiration pour le maître français ne ferme pas les oreilles à d’autres esthétiques. Captée en mai 2014, l’interprétation de l’Ensemble Aventure, dirigé par Scott Voyles, fait clairement entendre les traits proliférants de Wandlung (comprendre mutation, transformation, modification). Remarquons également que Borowski ne dédaigne pas une expressivité plus appuyée, frileusement évitée (voire crainte) par nos Ircamiens. À trente ans, il possédait indéniablement son langage personnel, son style et tout ce qu’il fallait pour les faire évoluer.

Au Maroc, le cherguiest un vent sec venu d’Orient, en hiver glacial et brûlant à l’été. Si l’on remarquait le recours discret aux micro-intervalles dans l’opus précédent, trois ans plus tard Chergui hésite moins à les convoquer. Là encore, on saisit le souvenir boulézien dans la forme et l’usage de cellules auto-génératrices, comme l’inscription respectueuse dans un présent que dépasse le nouveau substrat. À la tête de l’Ensemble Interface, Scott Voyles sert efficacement son écriture extrêmement énergie, alternant des timbres savamment travaillés et des scories râpeuses. Encore signalera-t-on une sorte de lyrisme dans l’œuvre, parallèlement à sa très rapide tonicité, virtuose.

Avec Klavierkonzert, conçu en 2010 et 2011 (Concerto pour piano), Borowski s’affirme plus encore. Certes demeure la trace vibratile, nerveuse, impérative et résonnante du Boulez de Sur Incises [lire nos critiques du DVD et du CD, ainsi que nos chroniques du 27 mars 2005 et du 11 décembre 2012], voire de Répons [lire nos chroniques du 16 mars 2003, du 15 avril 2010 et du 11 juin 2015], mais pour toujours aller plus loin vers soi-même. Les répétées et trémolos frénétiques mènent à la surchauffe du matériau, soldée, au deuxième tiers du premier mouvement, par une oxydation en suspens. Au clavier, l’excellent Florent Boffard [lire nos chroniques des 14 janvier 2005, 2 août 2013 et 26 juin 2014], créateur de cette œuvre non dénuée de dramaturgie, signe une interprétation fulgurante. Des frôlements bruitistes, rehaussés par la percussion, ouvrent le court mouvement médian, bientôt lancé sur un chemin dru et méandreux, de plus en plus touffu, conclu par un énigmatique feulement sourd qui va s’éteignant. Le troisième et dernier épisode s’impose de chambriste manière, dansant presque dans les échanges du violon, de la flûte, etc. Sous la battue de Manuel Nawri, les musiciens du WDR Sinfonieorchester livrent une lecture passionnante de ce passage moins radicalement tendu qui confie aux cuivres un chant large, fort théâtral.

Il n’est sans doute pas indifférent que l’un des pianistes de l’Ensemble Intercontemporain ait créé ce Klavierkonzert en Allemagne : en 2008 déjà, la formation française commandait une pièce à Borowski, Mappe, dont Susanna Mälkki dirigea la première en 2010, à Paris. Dans la foulée survint une seconde commande, Fagottkonzert de 2012/13 (Concerto pour basson), rendu public par l’impressionnant Pascal Gallois pour la partie soliste et Bruno Mantovani au pupitre, lors du concert du 14 avril 2014, à l’espace de projection de l’Ircam, dont c’est ici la captation. L’affranchissement de la fascination pour Boulez est désormais clairement effectif. Dès la première des cinq sections que compte cette page, la densité du jeu – chambriste, à le comparer avec le précédent concerto, nettement symphoniste – captive l’écoute dans une couleur nouvelle. Après une cadence solistique en deuxième partie du mouvement II, le tutti étale du III fond soudain des procédés spectraux à de sèches mitrailles, quand le IV superpose les soliloques des vents, plutôt qu’il ne les fait dialoguer. Après un puissant et dramatique climax, un ultime solo de basson, parfois multiphonique, ferme les deux dernières minutes de l’œuvre dans une raréfaction méditative. Voilà qui invite à entendre Encore, prochain opus du compositeur, que Daniel Barenboim créera à Berlin en mai 2017.

BB